Chaque rapport statistique publié, ainsi que les entretiens que je réalise régulièrement avec des commerçants indépendants ou des responsables d’enseignes, me confortent dans l’idée que le secteur de la distribution traverse une grande phase de transition : le commerce d’hier n’existe déjà plus. Beaucoup de marques ont l’impression qu’il y a une crise aiguë mais, en réalité, il s’agit d’abord et avant tout d'une mutation profonde du business model de la distribution à laquelle les entreprises doivent répondre pertinemment pour en sortir plus fortes. Cela passe par une stratégie de marketing évolutive et intelligente.
Il est révolu le temps où le client, passif devant sa télévision et réceptif à la publicité de manière générale, affichait une certaine docilité et était plus facile à attirer dans les points de vente physiques. Aujourd’hui, avec l’impact des nouvelles technologies, le consommateur est surinformé : il a souvent une connaissance très fine du produit, meilleure parfois que le vendeur lui-même car il a l’opportunité de comparer les tarifs par l’intermédiaire des comparateurs de prix ou de consulter des avis relatifs aux produits/services recherchés sur les réseaux sociaux et autres forums. Il a acquis une expertise du shopping multicanal grâce à sa maîtrise des outils numériques, et l’achat en ligne ou sur mobile n’a plus de secret pour lui (cet acte désormais se fait naturellement, sans appréhension).
La part du mobile (smartphone et tablette) dans l’e-commerce a augmenté de 60% en 2017. Près d’un tiers du volume d’affaires est maintenant réalisé sur mobile (selon l'étude 2016-2017 de la fédération e-commerce et vente à distance¹). Un autre exemple symptomatique : lors de l’édition 2017 de la fête des célibataires (11 novembre dernier), le leader du e-commerce chinois Alibaba a capté 90% de ses transactions sur mobile durant cette seule journée (soit 19,5 milliards d’euros de ventes²) .
Ce nouveau mode de consommation est même perçu comme plus pratique : plus besoin de porter ses colis, ni même de se déplacer dans les points de vente. Un quart des mobinautes ont déjà effectué un achat en ligne et cette proportion ne cesse de grandir. C'est un réflexe naturel pour les générations Y et Z d’acheter sur sa tablette ou son smartphone, comme il était tout aussi naturel et évident pour les générations précédentes de se rendre dans un centre commercial pour y faire son shopping.
Ce nouveau client cherche également davantage d’authenticité : il aime jouer, s’amuser, être reconnu, échanger et partager sur les réseaux sociaux. La possibilité de pouvoir partager à chaque instant une information en avant-première est parfois plus importante que l’information elle-même ! Les loisirs ont pris un poids considérable dans notre vie quotidienne. Enfin, nos priorités budgétaires ont totalement changé ces 10 dernières années avec une part grandissante pour les postes de dépenses tels que les loisirs et le numérique.
Toute la stratégie doit être orientée vers le client en essayant d’identifier quelle est la réponse adéquate à apporter à son besoin réel. Trop de réseaux de distribution sont encore organisés en fonction de leurs contraintes logistiques ou de points de vente, et pas assez orientés client dans leur organisation. En conséquence, l’offre proposée n'est plus en phase avec les attentes. Je vais faire un peu d’histoire avec un exemple fameux, celui de l’enseigne Bilder & De Clercq, qui a inventé l’épicerie du XXIème siècle à Amsterdam. Leur concept est simple et répond à la question suivante : "Qu’est-ce que je vais préparer à dîner ce soir ?". Ils ont donc créé un point de vente qui est animé par des vendeurs passionnés et structuré autour des recettes de cuisine, avec une présentation des produits nécessaires à la réalisation de ces recettes. Les plages horaires de livraison sont souples et adaptées à la vie urbaine. Bref, Bilder & De Clerq a réalisé un carton !
Après la vague des réseaux sociaux (2.0), le Web 3.0 a pointé son nez. Nous avons observé la mutation du consommateur, qui est passé de l’anonymat à la reconnaissance individuelle (personnalisation des offres, du contenu marketing ou encore de l’accueil en point de vente). Ce nouveau consommateur a la possibilité d’acheter des produits ou des services à son nom, en fonction de ses envies ou ses goûts. Les grandes marques agroalimentaires l’ont compris, et nous avons vu Coca Cola personnaliser ses bouteilles, et Ferrero personnaliser le packaging Nutella !
Il ne s’agit plus seulement d’attirer le client en point de vente, mais aussi de capter son attention en ligne et de le fidéliser (Facebook ou Twitter), sur les différents terminaux à sa disposition (ordinateur, tablette, smartphone). Dans cette optique, l’animation de l’espace virtuel constitue donc un enjeu crucial. Les entreprises qui gagnent sont celles qui maîtrisent le marketing multicanal.
Il y aura sans doute moins de magasins, mais ils seront plus intelligents. Le vendeur va retrouver un rôle important car il doit se muer en coach afin d’apporter davantage de valeur ajoutée. Un chantier de formation doit être élaboré pour accompagner cette mutation du métier. Le vendeur sera équipé de tablettes qui lui permettront d’identifier facilement et rapidement le consommateur qui sera venu en boutique, d’accéder aux dernières informations le concernant pour mieux le renseigner et de lui formuler des recommandations plus pertinentes. Par exemple dans le textile, la conseillère proposera à une cliente une robe qui puisse se marier parfaitement avec le petit haut qu’elle a acheté quelques semaines auparavant sur le site internet. Nous pouvons même imaginer que le vendeur soit commissionné sur les ventes réalisées en boutique, mais aussi sur celles réalisées à son domicile ou dans le centre commercial, grâce à sa tablette. Cette idée m’a été soufflée par un dirigeant expérimenté de la distribution. Chaque employé pourrait devenir le commercial de l’enseigne et développer sa communauté sur les réseaux sociaux. Peut-être faut-il aller jusqu’à repenser le commissionnement ? Si le produit n’est plus en stock, la tablette permet au vendeur de commander en présence de la cliente le produit souhaité. Elle est ensuite livrée à son domicile ou sur son lieu de travail. Les taux de conversion sont excellents pour ce type de service.
Le consommateur a la possibilité de payer via un simple bouton sur son mobile ou via la technologie sans contact. Les conversions sont donc bien meilleures, et l’attente en caisse devient un mauvais souvenir. Les vitrines interactives font progressivement leur apparition, ce qui permettra de maintenir les points de vente ouverts 24H/24 dans des lieux insolites ! Enfin, les magasins deviennent un lieu d’animation, d’expérimentation, et de convivialité pour les clients. Ce qui incite les décideurs à revoir leur politique de gestion des stocks. Il n’est certainement plus nécessaire de stocker chaque référence dans les points de vente, alors que la cliente a l’opportunité de se faire livrer, à domicile par exemple. La logistique (ou supply chain) se trouve donc aussi révolutionnée par la transition numérique.
Il faut les restructurer pour proposer plus de solutions locales en points de vente, ce qui permettra un gain de réactivité et d’agilité. Par exemple, les évolutions climatiques, qui se traduisent par des bouleversements météorologiques, influencent grandement la consommation et le trafic en point de vente. Inutile de dire que la concurrence va s’accentuer. Chaque point de vente devrait avoir un vrai animateur de communautés à sa tête pour recruter, engager et fidéliser ses consommateurs. Dans ces conditions, la maîtrise du digital est un préalable essentiel. Les profils de responsables de point de vente vont donc évoluer, ce qui nécessitera un besoin de formation.
La mutation en cours est profonde, vous la vivez au quotidien ! La seule réponse est d'oser investir et de prendre des risques pour profiter des opportunités de croissance qui s’offrent à vous et à votre commerce. Organisez vos services comme de véritables start-ups : flexibles, dynamiques et investis. Enfin dernier point, vous devez accepter les échecs ou les succès modestes car l’apprentissage par vos équipes ou vous-même, donc le vécu de votre entreprise, est capital. Mais l’urgence est d’abord de se donner les moyens de se réinventer !
Sources :
1- https://www.fevad.com/wp-content/uploads/2017/06/Chiffres-Cles-2017_BasDef.pdf